Salles de sport restées longtemps fermées, réunions trop souvent interdites… Ah COVID, quelle peine infliges-tu aux pratiquants d’arts martiaux et aux combattants qui souhaitent seulement échanger quelques coups innocents ! Contraint à la solitude et au désespoir, je danse tristement avec mon ombre et regrette la lointaine époque où un assaut de mon adversaire valait mille leçons de combat lues dans un livre.
Voilà plusieurs années que j’ai écrit cette courte introduction, ressentant un besoin grandissant d’évacuer sagement une frustration bien réelle. L’époque était aux restrictions sanitaires et rendait vaine toute tentative de rassemblement. Engagé dans l’apprentissage du Taekwondo depuis l’adolescence, j’en étais réduit à une immobilité insupportable. Bien sûr, je pouvais m’entraîner seul pour conserver souplesse et tonicité musculaire, mais l’affrontement et surtout la présence de l’autre m’étaient refusés.
De cette paralysie temporaire ont surgi les réflexions suivantes : pourquoi combattre, ou du moins se préparer à l’affrontement, alors que le danger semble écarté, voire inexistant ? Pourquoi serrer le poing et se mettre en garde, si ce n’est pour défaire un autre moi me faisant face ? Et enfin, comment la beauté, le raffinement et la noblesse peuvent-ils émerger de qui semble à l’origine n’être que l’expression d’une violence codifiée ?
L’art de combattre
Pour beaucoup, les arts martiaux présentent une unique finalité, triompher sur le champ de bataille. Une rapide analyse sémantique donnerait raison à cette interprétation, puisque l’adjectif “martial” renvoie au belliqueux et au militaire. Et en matière de guerre, deux options existent : la victoire ou la mort. Bien entendu, les arts martiaux ont été d’un grand secours pour les populations et communautés isolées à travers les âges, leur permettant de se défendre contre les bandits, les envahisseurs et les animaux sauvages. Grâce à une discipline draconienne, tant sur le plan physique que mental, des hommes et des femmes ont pu se renforcer pour faire face à une inévitable adversité.
Il serait toutefois regrettable de réduire les arts martiaux à d’uniques systèmes efficients de bataille et à de simples conditionnements physiques devant assurer la victoire. Ce serait là perdre de vue tout ce qui fait leur beauté. De fait, certains arts martiaux internes sont davantage orientés vers un travail sur la gestion de l’énergie, comme ce peut-être le cas du qi gong ou le tai chi. Ainsi, ils présentent un objectif différent du combat.
Mais à l’heure où les querelles les plus courantes se règlent davantage par le verbe que par le sabre et où un simple coup de feu peut ôter la vie, quel intérêt y a-t-il encore à se tourner vers l’apprentissage d’un art martial ?
Les arts martiaux, une voie d’épanouissement personnel
Si les arts martiaux n’ont pas nécessairement vocation à créer des machines de guerre invincibles, ils peuvent aider à créer des surhommes, comprenons là des êtres dotés de qualités physiques, morales et éthiques extraordinaires. Et c’est là tout leur intérêt, puisqu’ils sont un chemin parmi d’autres permettant à l’humain de se réaliser.
La présence du Do ou du Dao/Tao (道) dans les arts martiaux asiatiques (Judo, Karaté-Do, Taekwondo, Viet Vo Dao, etc.) n’est d’ailleurs pas un hasard, puisque ce caractère signifie l’idée d’une voie et représente même un homme avançant sur une route. Déjà aux temps anciens, les notions de progrès personnel et de cheminement étaient essentielles.
Justes et intraitables, les arts martiaux sont l’école de la vie. Chaque adversaire est un professeur et chaque coup reçu une leçon précieuse. Pas d’autre choix que de ravaler sa fierté lorsqu’une attaque douloureuse, mais bien pensée, fait mouche. Bien sûr, il n’est pas simple d’admettre que nous ne sommes pas à la hauteur, mais la souffrance enseigne la résilience, la défaite nous prépare à la victoire et l’opiniâtreté de notre esprit nous prouve que nous sommes plus forts que la tempête qui fait rage.
Partout, l’esprit du guerrier demeure
Le dépassement de soi, le respect et la persévérance sont des valeurs qui apparaissent clairement au cours d’un combat. Cependant – et c’est bien là toute la richesse des arts martiaux -, ces valeurs ne quittent jamais le pratiquant. Où qu’il aille, il porte le dojo dans son cœur. Lorsqu’il s’entraîne et se prépare seul à l’opposition, il doit faire preuve de la même combativité et de la même férocité, car l’adversaire qui se tient entre la victoire et lui est impitoyable.
Cet opposant, c’est lui-même. Il est la montagne qu’il doit gravir s’il désire un jour progresser. À chaque instant, c’est une lutte contre son être tout entier que mène l’artiste martial. Qu’il se trouve sur le tatami ou qu’il soit adossé à un cerisier, les yeux mi-clos scrutant les profondeurs de son intériorité, il est un guerrier pacifique mû par un idéal serein de vérité, de justice et de bonté. Il mène une bataille acharnée contre ses démons qu’il tient en respect, mais le fait de telle sorte que cela en devient un art de vivre.
Et en saisissant cela, nous comprenons que la Voie est bel et bien un chemin d’élévation individuelle proposé à tous les pratiquants.
Mon entraînement me permet parfois de l’emporter sur autrui, mais il doit par-dessus tout me permettre de triompher de mes peurs. Je dois, grâce à mes efforts, me hisser aux sommets de ma conscience, reconnaître mes limites pour les dépasser et devenir l’instrument de ma transformation.
Ainsi, la guerre que je prépare me mènera à cette tranquillité de l’âme que je recherche. Et soudainement, l’idée de combattre seul me paraît moins saugrenue.